Border

Antoni ColletManéci, Le Journal des Ecrans Documentaires 1, France, Novembre 2005.

By Antoni Collot

Sangatte, à l’orée des forêts, en lisière, entre l’ici et l’ailleurs. La beauté de ses nuits, entre ocre profond et carmin léger, sous l’éclairage sporadique d’un phare de camion, d’une lampe torche d’argent de police. Nuit de lune rousse, nuit des saintes glaces, et d’un fog qui ici s’appelle encore brouillard. Sangatte terre d’accueil, là où la France, ivre mère aux bras ouverts, telle Médée de ses enfants chéris, prend soin de ceux qui fuient vers les bateaux ivres. Les tunnels improbables.

Sangatte en 2002. À hauteur d’humus, chasseresse, la caméra cueille un visage, puis une silhouette gorgée de nuit. La silhouette est tendue comme une cuisse de léopard, puis elle vacille, pixellisée à s’en fondre au paysage, à devenir la nuit elle-même, vibrante et incertaine. Les corps se dissolvent, perdent leur identité, ils deviennent l’armée des ombres, cette armée menée par un désir commun: rejoindre la côte voisine. Là-bas, au-delà de la grande marre froide, de la flache où flottent quelques Ferries, est un royaume , une île. Laura Waddington capte des corps, son œil vibre, les corps désirent l’île, le royaume, la terre mythique. Les corps se terrent, se courbent avec le vent, la camera devient pulsation, buée, elle perd pied, perd les corps de vue. La nuit gagne l’écran, il y fait froid. La voix de Laura Waddington nous dit l’attente, la peur, l’espoir Afghan d’un orient transnational.

Sur cette frontière, lame, no man’s land paradoxalement habité, vient se heurter l’image d’une impossible anthropométrie, d’une identité toujours en devenir; Aucun visage ne s’y donne, l’altérité toujours fuit, fleuve Ivre, inembrassable errance. Ombre noire sur fond cataclysmique. L’image, fragile pellicule de lumière saturée, transmet l’absence, la frustration et parfois la colère. Et ce particulièrement quand les corps s’assemblant pour faire face aux attaques policières, se voient déchirés, traînés tels viande, carcasse, objet, n’être plus rien que masse à déplacer vers ce non-lieu qui est le leur: l’attente. Quand la France, casquée, de bleue vêtue, traite le voyageur comme un barbare, la beauté précaire d’une silhouette sur l’horizon devient un cri, une arme.

Le film dans sa temporalité bousculée ne saurait être un lieu d’accueil pour celui qui demande refuge. Il s’agit d’un film faible, blessé, qui ne protège pas ses protagonistes de la violence du monde, qui ne protège pas non plus sa réalisatrice derrière sas masse technologique. C’est un film qui dévoile la fragilité et l’attente, qui frotte son objectif à l’humidité d’une tourbe spongieuse, à la lisse et brillante visière d’un casque de CRS. Border est un film vulnérable et c’est cette qualité qui en fait un film résistant au froid, à l’humidité et a la barbarie policière et policée. Sa faiblesse d’enfant chétif, sa respiration asthmatique, ses claudications narratives sont ses armes esthétique et politique: son éthique documentaire.

“Border” by Antoni Collot MANECI, Le Journal des Ecrans Documentaires 1, France, Novembre 2005